De l’étude du parler populaire à la géographie linguistique
En linguistique, la description du parler populaire d’une communauté donnée peut se faire au moyen d’enquêtes directes sur le terrain auprès de locuteurs locaux.
Munis d’un questionnaire bâti en conséquence, les responsables de l’enquête interrogent des informatrices et informateurs choisis selon les objectifs de la recherche (la description du parler des jeunes, de celui des milieux ruraux ou urbains, etc.) et notent ou enregistrent les faits de langage entendus.
Cette méthodologie fut celle du projet Atlas linguistique de l’Est du Canada (ALEC), destiné à inventorier quelque deux mille concepts de base du lexique populaire québécois, principalement issus du vocabulaire rural. Menée dans les années 1960 et 1970 auprès de personnes du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard par une équipe de l’Université Laval, cette étude fut publiée en 1980 sous le titre Le parler populaire du Québec et de ses régions voisines.
En général, les témoins ayant participé à l’enquête avaient plus de 50 ans, la grande majorité d’entre eux étant nés vers la fin du XIXe siècle. Les données recueillies rendent ainsi compte d’un usage linguistique qui, sous certains aspects lexicaux et phonétiques, commençait à vieillir à l’époque de l’enquête, mais qui, en revanche, illustrait mieux le parler rural traditionnel des régions visitées.
La somme des données lexicales et phonétiques obtenues dans cette étude historique a fourni aux linguistes un volumineux corpus de plus de 60 000 mots du parler usuel des francophones du Québec et de l’est du Canada au tournant des années 1970. Les données collectées illustrent aussi une grande quantité de phénomènes morphologiques et phonétiques; elles révèlent également la vitalité, la créativité et la richesse des parlers franco-canadiens, ainsi que des cultures traditionnelles québécoise, franco-ontarienne et acadienne que ces parlers expriment.
Puisque toutes les données notées « en réponse » à chacun des concepts-questions de l’enquête sont localisées géographiquement, on peut les reporter sur une carte géographique du domaine, au site de leur relevé, et ainsi faire apparaître un portrait de la répartition géographique des usages en différentes aires délimitées par des frontières appelées isoglosses.
Les linguistes se retrouvent alors devant la représentation géographique d’un territoire plus ou moins morcelé en aires linguistiques plus ou moins étendues, compactes ou brisées, ou en aires parfois réduites, en îlots qui peuvent se combiner, s’interpénétrer ou s’opposer nettement.
La carte devient une représentation de l’évolution historique du parler. Pour la décoder et la comprendre, on utilisera toutes les ressources disponibles, en recourant autant aux caractéristiques linguistiques des formes recueillies (archaïsme, dialectalisme, régionalisme ancien ou récent, emprunt, terme technique…) qu’aux facteurs extralinguistiques (histoire, mouvements de population, géographie, économie, sociologie…).
Cette représentation visuelle de la répartition d’emplois linguistiques ciblés et l’explication de la disposition des différentes aires linguistiques pour un emploi donné, voilà l’expérience que nous vous proposons ci-après dans une sélection de cartes représentatives tirées de l’Atlas linguistique de l’Est du Canada.