Il était une balancine

Michel Pleau

Au tout début, le temps était une balancine.

Michel Pleau

Michel Pleau est originaire du quartier Saint‑Sauveur, à Québec. En 1992, il publie son premier recueil. Depuis, il ne cesse d’apprendre à lire et à écrire de la poésie. Son livre La lenteur du monde a reçu le Prix du Gouverneur général en 2008.

La qualité de son travail a aussi été soulignée par les prix Alphonse-Piché et Félix-Antoine-Savard du Festival international de la poésie de Trois-Rivières ainsi que le prix Octave-Crémazie du Salon du livre de Québec.

En reconnaissance de son parcours de poète et de l’ensemble de son œuvre, on lui décerne le Prix littéraire de l’Institut Canadien de Québec en 2015 et le prix Jean-Noël-Pontbriand du Mois de la poésie en 2018.

Au printemps 2022, il fait paraître deux recueils pour célébrer ses 30 ans de publications : Le petit bestiaire, aux Éditions David, et Une auberge où personne ne s’arrête, aux Écrits des Forges.

Au tout début, le temps était une balancine.

Il nous prenait dans ses bras, comme un enfant qui vient de naître. Si on était attentif, on pouvait entendre le grincement des cordes et le premier cri du feu qui s’est rompu il y a belle lurette.

À l’origine, le temps n’avait de nom qu’un bercement infini d’étoiles.

Il était un verbe qu’on a oublié depuis. Les enfants, qui ne parlent pas encore, le voient dans le sourire de la mère.

Il avait été annoncé et prononcé, gravé sur la pierre, mais on ne savait pas encore entendre ce qui nous précédait. Puis le temps s’est fait chair. Et le monde s’est éclairci. La lumière passait d’un ciel à l’autre, c’est ainsi que les montagnes ont commencé à se taire et les arbres à s’enfoncer dans la terre. Nous étions plus seuls que l’air. Tout était un miroir éclaté. On l’ignorait, mais on passerait le reste de notre vie à se rassembler.

Nous ne pouvions lire que les heures à venir. Car, rien ne s’était encore arrêté. Nous étions le mouvement, l’éternel allant de la poussée première.

Personne n’a jamais vu le temps. On ne peut que parler de lui. C’est ainsi qu’il existe. Mais on ressent son oscillation, les vagues et l’écho de sa voix. On flatte le froid de sa fourrure. On boit à même la fontaine des anciens livres, espérant l’apercevoir.

Mais nous sommes fort mauvais poètes.

Maintenant, il nous prend par la main. Il veut toucher l’ailleurs, il veut écrire. On dirait le chemin qui vieillit avec nous. Nous voilà dans le train d’un autre âge qui ballotte. Le paysage, derrière la fenêtre, cherche à nous reconnaître. Comme s’il nous avait toujours attendus. On rêve de Moscou comme le pauvre Blaise au nom de cendres, on veut embrasser toutes les femmes et toutes les nuits. Nous ne savons pas aller jusqu’au bout de nous-mêmes.

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Illustration : Annabelle Métayer
 

Le temps est une balancine. L’amour aussi.

Ô l’amour! jeu de toutes les exclamations! On s’élance, les pieds ne touchent plus le sol, mais le soleil. On va le plus loin possible vers le bleu étourdi du ciel.

Aimer, c’est aller et venir dans l’espace, comme porté par le vent. Un vent de tempête. Et les mots se déplacent dans nos bouches. Le poème devient une maison de verre pour les amants. On caresse l’angle nu des choses. Nous avons la peau parlante et berceuse.

Nous sommes nombreux dans la marche à l’amour. Nous suivons les empreintes que Miron a tracées dans le manège de la neige. On titube jusqu’à l’autre. On se balance dans le cœur d’années-lumière de l’autre. On pénètre les souvenirs de l’autre.

On n’a jamais fini d’aimer quand on aime. C’est un mouvement perpétuel dont l’élan initial a été donné dans la nuit perdue du temps. On ignore qui a allumé la flèche du feu. Mais elle n’est jamais retombée. C’est écrit sur la chair des arbres.

On s’échange nos mains. On se donne nos yeux. On se promène avec une brouette vide tellement le monde est devenu léger. On oublie notre nom. Nous ne sommes plus seuls. On aime ses lèvres de marguerites. Le parfum de chacun de ses mots. Sa peau est un hamac où il fait bon se bercer.

C’est ainsi que marche l’amour. Dans les petits pas au bord de l’horizon. En équilibre, comme un enfant qui n’a peur de rien, debout sur une planchette de bois prête à céder.

Le bonheur est un vase fragile.

Le temps est une balancine. L’amour aussi. La mort, tout autant.

Car tout finit par casser. Même la corde qui nous retient.

Tous les gestes d’autrefois s’émiettent. On recolle les morceaux, mais il est toujours trop tard. Notre vie devient un vieux clou. On jappe à la lune comme un poème de Gauvreau.

La mort – et parfois l’idée de la mort – nous couche sur les planches. On s’endort fantôme au centre de la terre. Ce sera le dernier ventre. À l’entrée de chaque cimetière, on perçoit comme un chant de chaises berçantes qui craquent. Ce sont peut-être les arbres qui se sentent seuls ou qui s’ennuient. Comment savoir?

Mais la mort, c’est dégueulasse. C’est plein de crottes dans les yeux. On voudrait lui botter le cul. Lui arracher les dents, remplir sa bouche de sable pour être certain qu’elle ne morde plus.

La mort, c’est l’immobilité : le temps et l’amour arrêtés. L’élan suspendu. On aurait beau pousser du pied, elle ne bougerait pas.

On ouvre un poème de Marie Uguay, car on se dit qu’il existe pourtant des pommes et des oranges. Mais rien ne nous console. On entend la mort gruger le coin d’une page. On élève des pyramides, on marche de profil pour ne pas être reconnu. On dépose l’or des parfums au pied d’un chat millénaire qui a réponse à tout. On ne peut faire plus.

Heureusement, il reste les songes. On rêve de traverser le Nil, un beau soir d’été, sur un petit berceau d’osier. La plus féconde des femmes nous sauverait des eaux.

Le temps est une balancine. L’amour aussi. La mort, tout autant. Et puis, surtout, enfin, l’enfance.

Enfant, on est son propre poète. Chacun de nos jeux rime avec les jours. On parle toutes les langues. On va d’un monde à l’autre. On est à la fois seul et toujours accompagné. On sait que l’on peut être invisible : c’est cela, notre écriture.

On soulève les pierres pour une nuit qui ne fait pas peur. La plus petite nuit du monde. Notre ombre, on la met dans sa poche de pantalon. On est occupé d’une chenille. Elle nous apprend la lenteur des caresses. L’enfance, c’est le temps retrouvé de l’amour et l’amour du temps perdu.

On lance des ballons qui reviendront, des années plus tard, sous forme de poèmes. On ne sait pas. On ignore qu’on écrira un jour : Au début, on ne sait pas le nom des fleurs. Ce sont elles qui vous nomment. […] On apprend plus rapidement l’alphabet des fleurs si on s’est déjà ennuyé de sa mère. Ou encore : Le père se berce sur la galerie. […] Jour et nuit, on le sait tout à sa tâche d’entretenir avec le paysage la seule conversation qui vaille.

C’est alors qu’on invente une chanson qui habille la lumière. Une chanson sur l’air de Il était un petit navire. Pour toujours, le voilier d’Ulysse fredonné juste pour soi. Une chanson pour que l’enfance revienne de l’exil.

Heureux qui, comme la balancine, a fait un long voyage!

Il était une balancine
Il était une balancine

Qui n’avait ja ja jamais tant rêvé
Qui n’avait ja ja jamais tant aimé
Ohé Ohé!

Elle prenait soin de sa marmaille
Elle prenait soin de sa marmaille

Autour de l’arbre l’arbre où passait l’été
Autour de l’arbre l’arbre où passait l’été
Ohé Ohé!

Les enfants jouent avec leur âge
Les enfants jouent avec leur âge

Le ciel est bleu bleu touchons‑le du pied
Le ciel est bleu bleu touchons‑le du pied
Ohé Ohé!

Mais vient l’école et puis l’automne
Mais vient l’école et puis l’automne
Le vent seul se se se laisse bercer
Le vent seul se se se laisse bercer
Ohé Ohé!

Je l’aimais bien ma balancine
Je l’aimais bien ma balancine
Et jamais je je je ne l’oublierai
Et jamais je je je ne l’oublierai
Ohé Ohé!

 


Consultez l’article balancine dans le Dictionnaire historique du français québécois pour en apprendre davantage sur ce québécisme.