Le verbe abrier est à l’origine d’une famille élargie?
Abri, abrier et abriter : une histoire de famille
Peut-être avez-vous déjà remarqué la ressemblance entre le nom abri et les verbes abrier et abriter. Cette ressemblance n’est pas fortuite. Elle s’explique par l’histoire de ces trois mots, une riche histoire marquée par des influences diverses et entrecroisées, une histoire qui s’étale sur de multiples sens et qui traverse de nombreuses époques. Sauriez-vous dire quel mot est à l’origine des autres?
Le legs des aïeux
L’histoire de cette famille de mots commence au XIIe siècle, à l’époque où le verbe abrier donne le nom abri. Quelques siècles plus tard, c’est au tour du nom abri de servir de base pour construire un nouveau verbe, abriter. Les deux verbes abrier et abriter, au sens de « protéger, mettre à l’abri », coexistent dans l’usage jusqu’au XVIIe siècle, époque où abrier est remplacé par abriter. Aujourd’hui, dans les dictionnaires français, le verbe abrier est marqué comme régional, car abrier subsiste dans bon nombre de parlers régionaux de France. Cependant, les verbes abrier et abriter se sont bien maintenus au Canada… avec des sens différents.
Un héritage préservé
Que signifie abrier de nos jours au Québec? Voici ses sens les plus courants. Il peut d’abord signifier « couvrir quelque chose pour le protéger », par exemple : En novembre, il faut abrier les arbustes en vue de l’hiver. Le verbe abrier a aussi le sens de « couvrir quelqu’un d’une couverture pour le garder au chaud », comme dans : Chaque soir, avant d’aller dormir, ma mère nous abriait pour la nuit. Enfin, dans un sens plus abstrait, on emploie s’abrier pour signifier « se protéger, se défendre, s’excuser en se dissimulant (derrière quelqu’un ou quelque chose) », par exemple : Pour éviter un scandale, le député a choisi de s’abrier derrière les lourdeurs bureaucratiques. Comme l’illustrent ces exemples, le verbe abrier s’emploie aussi bien dans des constructions transitives (abrier quelque chose ou quelqu’un) qu’à la forme pronominale (s’abrier).
La famille s’agrandit
On rencontre aussi les dérivés désabrier « enlever ce qui recouvre quelqu’un ou quelque chose » et rabrier, signifiant, entre autres, « abrier, couvrir de nouveau », comme quoi le verbe abrier est bien vivant chez nous. Ce verbe est aussi attesté sous la forme abriller, dont la graphie se rapproche de la prononciation. Issu de la plume de Victor‑Lévy Beaulieu, l’exemple qui suit illustre à la fois une utilisation de désabrier et celle du participe adjectif abrillé :
[…] j’ai ouvert cette porte de chambre où Mathilde venait d’accoucher : rien qu’une grosse tête sans cheveux appuyée contre l’épaule nue de Mathilde, tout le reste du corps secret parce que abrillé de literie blanche. […] Et brusquement, je l’ai désabriée, cherchant le corps dessous, cherchant la patte manquante (V.‑L. Beaulieu, Le Devoir, 25 juillet 1996, p. A8).
Un élan de jeunesse
Fort utile et riche de sens, le verbe abrier est bien vivant en français du Québec. Et comme on a toujours besoin de se protéger, le français moderne s’est aussi enrichi, entre autres, d’abribus, car le mauvais temps exige parfois qu’on se mette à l’abri!
Pour en découvrir davantage sur les verbes de cette grande famille, consultez les articles abrier ou abriller, désabrier ou désabriller et rabrier ou rabriller dans le Dictionnaire historique du français québécois.
Références
Beaulieu, V.‑L. (1996, 25 juillet). L’augure du veau à trois pattes. Le Devoir, p. A1‑A8.
Trésor de la langue française au Québec. (2023). Abrié, abriée ou abrillé, abrillée. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 29 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/abrie-abriee-ou-abrille-abrillee
Trésor de la langue française au Québec. (2023). Abrier ou abriller. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 29 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/abrier-ou-abriller