Il n’y a pas que la chaleur qui achale?
Bien des désagréments et d’autres petits soucis peuvent nous achaler ou préoccuper notre esprit, comme un mystère ou un problème non résolu. Plus concrètement, l’été, la chaleur accablante ou les moustiques voraces peuvent être vraiment achalants, voire exaspérants!
Il n’y a pas que les objets, les événements ou les animaux qui peuvent nous achaler : des personnes peuvent très bien s’en charger! En effet, achaler, c’est entre autres « déranger, ennuyer, importuner quelqu’un ». On peut achaler les gens de notre entourage avec nos problèmes, nos paroles ou nos demandes, comme le montre cet exemple, tiré du premier tome de la trilogie Un homme comme tant d’autres de Bernadette Renaud, paru en 1992 :
Il gardait ses rancœurs pour lui et n’en disait rien à Mathilde. « J’ai pas d’affaire à l’achaler avec mes affaires de famille. » (p. 178)
Le verbe achaler devient alors synonyme de bâdrer, un autre verbe bien de chez nous.
N’y perdons pas notre latin!
Ça vous achale de ne pas savoir d’où nous vient ce verbe? Eh bien, achaler est un dérivé dialectal de chaler. Cette variante de l’ancien verbe chaloir, qui signifie « chauffer », a été relevée dans l’Ouest et le Nord‑Ouest de la France. En remontant encore plus loin dans le temps, on découvre que chaloir vient du latin calere, signifiant « être chaud, avoir chaud ».
Cette idée de chaleur s’exprime à la fois dans un emploi vieilli d’achaler au Québec, où l’ardent verbe a déjà signifié « attiser (un feu) » – naguère, on pouvait dire, par exemple, achaler le feu dans le poêle – et dans un emploi pronominal relevé en Acadie, où s’achaler signifie « chauffer mieux », en parlant d’un poêle.
Un mot qui a fait des étincelles
À première vue, ce sens provenant de calere peut sembler loin des emplois actuels d’achaler, mais achaler signifie aussi « accabler, incommoder (en parlant de la chaleur) ». Cet emploi a été relevé dans des parlers régionaux de l’Ouest et du Nord‑Ouest de la France ainsi qu’en Acadie et en Louisiane.
Au Québec et ailleurs, l’emploi de ce verbe s’est aussi étendu à toute chose qui dérange, chose souvent reprise par le pronom ça, comme en témoigne l’extrait suivant, provenant des « humeurs » de Rosalie Bonenfant publiées en 2018 sous le titre La fois où j’ai écrit un livre :
Ça aussi, ça m’achale. Tu es bronzée, toi. Un splendide brun doré qui s’harmonise avec ton beau maillot à la mode que tout le monde veut, mais que personne ne sait où acheter. Tu es bronzée comme une saucisse à hot dog qu’on a laissée sur la braise juste assez longtemps, avant qu’elle commence à croûter. (p. 102)
Achaler s’emploie également pour parler d’une personne ou d’un animal qui importune, qui ennuie.
Un véritable foyer lexical
Prospère, la famille d’achaler comporte plusieurs mots. On trouve d’abord l’adjectif achalé, qui sert de base à l’expression pas achalé, signifiant « qui n’a pas de retenue, qui est sans-gêne », comme dans : Te parler de cette manière? Vraiment, elle est pas achalée!
En outre, l’adjectif achalant s’emploie pour exprimer ce « qui cause du désagrément, de la contrariété », par exemple lorsqu’on fait référence à un temps achalant. Un insecte peut également se révéler bien ennuyant et importun par sa présence, comme le démontre cet extrait de dialogue entre Donalda et Séraphin, écrit par Claude‑Henri Grignon et diffusé le 30 mai 1944 dans le radioroman Un homme et son péché :
Donalda – Des maringouins, ça vient par nuages. On pourrait couper ça avec un couteau.
Séraphin – Coupe‑les. […] Viande à chiens que c’est achalant.
Bien entendu, achalant peut aussi s’appliquer à une personne « qui ennuie, importune par sa présence, ses propos, son comportement », comme le montre l’extrait suivant, tiré d’une pièce emblématique du théâtre québécois, Tit‑Coq (1950), de Gratien Gélinas :
Tu tâches de te payer une petite assurance pour te faire enterrer. Et, si tu veux quelques messes pour le repos de ton âme, vois‑y toi‑même avant de lever les pattes, parce que les neveux et les nièces t’oublieront une demi-heure après le libera. Pourtant, tu te seras tourmentée pour ces enfants‑là comme s’ils étaient à toi, au risque de t’entendre traiter de vieille achalante! (p. 109)
Enfin, si achaler, achalé et achalant nous viennent bien de parlers régionaux de l’Ouest et du Nord‑Ouest de la France, le dérivé plus rare achalage, désignant un « ensemble de choses, de propos, de manières qui dérangent », est une création toute québécoise. Comme quoi le français québécois, plein d’audace, est pas achalé pour cinq cennes!
Pour en apprendre davantage sur ce québécisme et sur les mots de sa famille :
- Consultez les articles achaler, achalage, achalé, achalée et achalant, achalante dans le Dictionnaire historique du français québécois.
- Regardez l’épisode sur le mot achaler, de la série linguisticomique Dis‑moi pas!? La petite histoire des mots d’ici.
Références
Bonenfant, R. (2018). La fois où j’ai écrit un livre : humeurs. Hurtubise.
Gélinas, Gr. (1950). Tit‑Coq. Beauchemin.
Grignon, Cl.‑H. (1944, 30 mai). Un homme et son péché [radioroman]. Radio-Canada.
Renaud, B. (1992). Un homme comme tant d’autres, t. 1 : Charles. Libre expression.
Trésor de la langue française au Québec. (2021). Achalant, achalante. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 22 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/achalant-achalante
Trésor de la langue française au Québec. (2022). Achalé, achalée. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 22 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/achale-achalee
Trésor de la langue française au Québec. (2022). Achaler. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 22 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/achaler