ALLÈGE: Saviez-vous que...

Les touristes peuvent voyager à la fois léger et allège?

Le cœur allège du voyageur

Qui n’a jamais rêvé, comme le Survenant, […] de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le cœur allège, tout son avoir sur le dos (G. Guèvremont, Le Survenant, 1945, p. 221)? Pour le héros de Germaine Guèvremont, ce rêve prend la forme du voyage, d’une vie nomade et libre. D’ailleurs, qui ne rêverait pas de tout abandonner pour parcourir le vaste monde sans obligations, sans responsabilités?

Mais trêve de rêveries! Pour revenir aux célèbres paroles du Survenant, le grand dieu des routes… de quel mot l’adjectif allège est‑il dérivé, selon vous?

À la dérive…

De manière spontanée, on a tendance à associer l’adjectif allège au verbe alléger. En outre, c’est de ce verbe qu’est dérivé le nom allège, désignant en français standard une embarcation utilisée pour charger et décharger des navires, ou encore un petit mur situé sous la baie d’une fenêtre.

Les chenaux néerlandais

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’adjectif québécois allège ne dérive ni du verbe alléger, ni du nom allège, ni même de l’adjectif léger. Il vient plutôt de l’adjectif lège, un terme de la marine attesté en français depuis 1681 et signifiant « vide » ou « qui n’a pas de chargement », en parlant d’un bateau. Emprunté au néerlandais leeg (vide), lège s’employait dans la locution à lège. Les deux mots ont ensuite fusionné pour donner allège.

À tribord, toute!

D’abord associé à des embarcations ou à des véhicules, l’adjectif québécois allège signifie « qui est vide, qui n’est pas chargé ». Par exemple, au Québec, on dit un bateau allège (alors qu’en France, on dit plutôt un bateau lège).

Il est également possible de partir allège et de revenir allège, c’est-à-dire sans chargement. Allège se dit aussi en parlant de personnes ne traînant aucune charge, comme dans cet exemple tiré d’un récit d’Yves Thériault, L’herbe de tendresse, paru en 1983 :

C’était dire sans dire : cela taisait et pourtant insinuait à la fois la longue démarche annuelle [...]. Et d’y venir [à la Romaine] en cette haute Cabonga presque mains nues, chaque automne, en se fiant aux gibiers de la forêt pour survivre, et de retourner mains pleines, au moins jusqu’au premier endroit de traite [...] où se délivrer des ballots de fourrure et continuer allège vers la maison, la femme, les petits, les comptes à payer, l’été à passer à survivre, le recommencement en octobre suivant : un an dans une vie de petite misère sans grande joie. (p. 41)

Du vent en poupe

Toujours pour qualifier les personnes, allège peut aussi prendre un sens figuré, soit « libre de toute contrainte, de toute gêne, à l’aise ». C’est cette liberté enviable qu’éprouve le Survenant lorsqu’il quitte le Chenal du Moine pour reprendre la route.

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Une marcheuse qui voyage allège.
Tiré de [Sans titre], par Stefan Schweihofer, 2013, Pixabay (https://pixabay.com/images/id-207525/). Domaine public.

Arriver à bon port

Alors, que préférez-vous? Voyager léger (avec peu de bagages) ou voyager allège (libre, sans contraintes)? Les deux sont possibles, mais il est assurément plus aisé de voyager allège si l’on voyage léger!

 


Pour en apprendre davantage sur ce québécisme, consultez l’article allège dans le Dictionnaire historique du français québécois.


Références

Guèvremont, G. (1945). Le Survenant. Beauchemin.

Thériault, Y. (1983). L’herbe de tendresse : récits. VLB.

Trésor de la langue française au Québec. (1998). Allège1. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 22 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/allege