BARDASSER: Saviez-vous que...

Les origines du verbe bardasser remontent à loin?

Qu’ont en commun les activités de grand ménage du printemps, le fait de mener du tapage et l’acte de brusquer quelqu’un physiquement ou verbalement? Eh bien, l’un ou l’autre de ces sens hétéroclites peuvent s’exprimer par le verbe bardasser.

Bardasser à tout bout de champ

Le verbe bardasser n’est ni récent ni né ici. Il s’agit d’un héritage lointain transmis par certains parlers régionaux de France. En fait, la forme bardasser se rattache probablement au latin brittus, signifiant « breton », qui a donné des mots de même famille répartis dans les parlers des régions du Nord-Ouest, du Centre et de l’Ouest de la France (DHFQ, s.v. bardasser).

Au Québec, jadis, le verbe bardasser signifiait également « s’occuper à de menues besognes, souvent sans but déterminé », ou encore « s’affairer à différents travaux manuels à la maison ou à la ferme » (DHFQ, s.v. bardasser). Ainsi, quand nos grands-mères préparaient la tourtière, la dinde, les fèves au lard, le ragoût de pattes, les atocas et les beignes dans le sirop pour le réveillon, elles bardassaient inlassablement dans la cuisine pendant des jours!

Ça bardasse fort

De nos jours, ce verbe relevant du registre familier s’emploie dans des contextes quelque peu différents. Quand on bardasse quelque chose, c’est qu’on le manipule sans précaution, souvent bruyamment. Par exemple, vous est-il déjà arrivé de bardasser de la vaisselle en mettant la table « sur une pinotte » parce que votre beau-frère venait de s’inviter à souper avec toute sa marmaille affamée?

Ce verbe s’utilise aussi de manière absolue, c’est-à-dire sans complément. Il signifie alors « s’affairer à quelque chose en faisant du bruit, du remue-ménage ». Par exemple, quand les enfants se chamaillent, se tiraillent, construisent des forts en couvertes et mettent leurs jouets sens dessus dessous, on peut les entendre bardasser dans la maison.

Avec de tels sens évoquant besogne, tumulte et pagaye, il n’est pas étonnant qu’on emploie aussi bardasser au sens de « montrer sa mauvaise humeur, son mécontentement en s’agitant, en bousculant des objets, en maugréant » (DHFQ, s.v. bardasser), comme dans cet extrait tiré du monologue Le bonheur, d’Yvon Deschamps (1973, p. 60) :

Moi j’aimerais autant que le bonheur vienne le plus vite possible parce que moi‑même… depuis que’qu’temps euh… j’commence à avoir des douleurs dans le rein, des affaires de même… j’me plains pas, j’pas fou… […] Mais c’est parce que quand ça fait trop mal, ça paraît. Ça paraît parce que j’viens de mauvaise humeur pis j’bougonne, pis j’bardasse, pis envoye donc… Eh bonheur, es‑tu là?

C’est quoi, tout ce barda?

Il n’y a pas que les objets qui se font bardasser; les personnes peuvent l’être également. Bardasser quelqu’un, c’est « le secouer physiquement, le molester » ou encore « le traiter verbalement d’une manière rude, le réprimander vigoureusement », comme en rend compte cet extrait d’un article sur la rage de l’air paru dans La Presse (Dumas, 2000) :

Mal oxygéné, le cerveau fonctionne au ralenti. Certains passagers deviennent facilement irritables, moins vigilants. […] L’immobilité complète à laquelle sont astreints les passagers, la privation de sommeil, le stress et la peur de l’avion n’aident pas non plus à garder les relations harmonieuses. […] Assez, c’est assez. Le 6 juillet 2000 a été décrété journée internationale contre la rage de l’air. Un agent de bord se fait bardasser ou brutalement apostropher entre trois et quatre fois par année […].

Arrête ton barda!

Du verbe bardasser sont dérivés plusieurs mots, entre autres le nom barda, dont la plupart des sens font écho à ceux du verbe d’origine. Ainsi, barda peut signifier « ménage, ensemble des travaux d’entretien (incluant le soin des enfants, la préparation des repas, etc.) qu’on effectue dans et autour de celle‑ci » ou « bruit assourdissant, tapage, vacarme » (DHFQ, s.v. barda), comme l’illustre cet exemple tiré de l’incontournable ouvrage portant sur la vie traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent, de l’historien Jean Provencher (1982, p. 104) :

Rapidement, souvent sans même avoir avalé un premier repas, on charge les outils dans la charrette, on attelle le cheval pour gagner le champ. Le « bardas » mené par les travailleurs a tôt fait de réveiller ceux qui dormaient encore […].

Barda a aussi le sens de « désordre matériel, ensemble de choses hétéroclites mises pêle-mêle », mais cet emploi, qu’on associe naturellement au verbe bardasser, paraît se rattacher à son homonyme barda, d’origine arabe et attesté en français depuis 1848. Cet autre barda, qui renvoie à un bagage ou un chargement encombrant, s’employait à l’origine dans un contexte militaire. Il y aurait eu ici rencontre des deux mots (DHFQ, s.v. barda).

Encore du… bardassage!?

Pour ajouter à ce joyeux capharnaüm, d’autres mots sont dérivés de bardasser, comme le nom bardassage, dont les sens usuels contemporains sont « bruit, tapage, remue-ménage » ou encore « action de secouer quelqu’un, bourrade ». Par exemple, on peut imaginer que si les Glorieux remportaient la coupe Stanley l’an prochain, il y aurait pas mal de bardassage dans les rues de Montréal!

Sans doute le verbe bardasser a-t-il fait grand bruit, puisque l’on en a aussi formé, entre autres, les adjectifs bardasseux, bardasseuse et bardassier, bardassière, les noms bardasserie et bardassement (rare; voir DHFQ, s.v. bardasser, sens 3), ainsi que, probablement, l’adverbe et nom bardi‑barda. Cette étonnante profusion lexicale évoque en soi un beau barda!

 


Pour en apprendre davantage sur ce québécisme, consultez les articles bardasser et barda dans le Dictionnaire historique du français québécois.


 

Références

Deschamps, Y. (1973). Monologues. [Montréal] : Leméac.

Dumas, H. (2000, 20 décembre). La rage de l’air. La Presse, actuel, B1‑B2.

Provencher, J. (1982). C’était l’été : la vie rurale traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent. Montréal : Boréal Express.

Trésor de la langue française au Québec. (1998). Barda. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 1er mai 2023. https://www.dhfq.org/article/barda

Trésor de la langue française au Québec. (1998). Bardasser. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 1er mai 2023. https://www.dhfq.org/article/bardasser