BRUNANTE: Saviez-vous que...

La fin du jour est colorée?

Certains mots possèdent un fort pouvoir évocateur. Ils se présentent enveloppés de mystère et de nostalgie. Ainsi en est‑il du nom brunante, emblématique du français d’ici.

Un moment fugace

Le mot brunante réfère au « moment de la journée où une lumière faible et incertaine suit immédiatement le coucher du soleil, tout juste avant la tombée de la nuit ». Cet intervalle suspendu entre le clair et l’obscur n’a pas échappé à la sensibilité de nos illustres écrivains et écrivaines. Ainsi Anne Hébert écrivait-elle en 1988 dans son roman Le premier jardin :

Le ciel gris si bas qu’on pourrait le toucher du doigt, au bord de l’horizon. C’est une petite fille emmitouflée comme un poussah, dans la neige, au crépuscule, debout devant la porte du 101, rue Bourlamaque. C’est l’heure d’hiver, triste entre toutes. La brunante. Entre chien et loup. Avant la nuit. Alors que le jour est déjà retiré. La lumière blafarde de la neige, à perte de vue, comme une lanterne sourde. Ce peu de jour au ras du sol respire son souffle froid à moitié avalé par la neige. (p. 64)

Le nom brunante s’emploie souvent dans la locution adverbiale à la brunante; on dira, par exemple, revenir à la brunante, ou encore un spectacle qui débute à la brunante. Brunante désigne aussi, quoique plus rarement, l’aube ou l’aurore, sans doute parce que les timides lueurs de l’aube sont semblables à la lumière indécise de la brunante. Dans les deux cas, brunante a comme synonyme crépuscule.

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Début de la brunante sur le lac Saint-Jean, au parc national de la Pointe-Taillon.
Photo : Trésor de la langue française au Québec
 

Brunante, tout comme crépuscule, a donné lieu à des emplois figurés. On associe notamment brunante à ce qui est incertain, flou ou mal défini, par exemple :

Cette pièce pose en définitive le problème de la disparition des grandes balises morales. Nous sommes ici en terrain d’équivoque, de brunante relativiste où les eaux du vrai et du faux se mélangent en un gris fleuve d’une langueur mystificatrice. (J. St-Hilaire, Le Soleil, 24 mars 1997, p. C5).

Brunante prend aussi le sens de « fin » ou de « déclin », comme dans : À la brunante de ce siècle, certains groupes ou artistes ont choisi d’attendre que l’on entame le nouveau millénaire avant d’entreprendre une nouvelle tournée. (M. Bilodeau, Le Soleil, 11 septembre 1999, p. D4). Ces sens figurés, relativement récents, illustrent bien la vitalité sémantique du mot.

Une lointaine origine française

L’emploi du nom brunante ne date pas d’hier, puisqu’on l’atteste au Québec depuis 1778. Formé à partir du radical de brunir et de la forme féminine du suffixe ‑ant (sur le modèle des participes présents adjectivés), brunante a subi l’influence d’un équivalent français attesté depuis le XVe siècle, soit le mot brune au sens de « crépuscule », qu’on emploie en France, notamment dans la locution à la brune, signifiant « au crépuscule ».

En usage dans différents parlers régionaux en France, brunante a traversé l’Atlantique pour s’implanter au Québec, en Acadie et en Louisiane. Depuis la fin du XIXe siècle, le mot figure dans plusieurs dictionnaires français, accompagné de la mention « Canada ».

Un mot aimé de tous

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, brunante a charmé la majorité des linguistes et des personnes qui s’intéressent à la langue en raison de son caractère poétique, pittoresque et imagé. Les écrivains et écrivaines, poètes et artistes québécois le chérissent et y ont recours avec bonheur. Toutefois, son emploi ne se limite pas aux registres littéraire et poétique. C’est un mot de la langue générale, bien qu’il soit en perte de vitesse chez les jeunes locuteurs, qui le perçoivent souvent comme vieilli ou soigné.

Depuis la nuit des temps, la tombée du jour suscite des émotions diverses : tristesse, langueur, douceur, paix, gratitude, enchantement… Brunante évoque à merveille toute cette gamme affective. Il offre, dans l’arsenal du parler québécois, une manière unique de saluer la beauté de ces instants où le jour expire tranquillement.

 


Pour en apprendre davantage sur ce québécisme, consultez l’article brunante dans le Dictionnaire historique du français québécois.


 

Références

Bilodeau, M. (1999, 11 septembre). De retour en l’an 2000. Le Soleil, D4.

Hébert, A. (1988). Le premier jardin. Seuil.

St‑Hilaire, J. (1997, 24 mars). La ciguë du cynisme. Le Soleil, C5.

Trésor de la langue française au Québec. (2021). Brunante. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 21 juin 2023. https://www.dhfq.org/article/brunante