Certains grelots ne tintent pas?
On a tous déjà entendu le son des grelots, ces petites boules de métal creuses contenant une bille métallique, qui tintent lorsqu’on les agite. Au Québec comme en France, ils constituent un symbole sonore du temps des Fêtes! Or, les grelots ne sont pas tous bruyants. Au Québec, le nom grelot a pris d’autres sens et d’autres formes. Reconnaissez-vous grelot dans ses variantes guerlot et gorlot?
Illustrated Post Card Co. (s. d.). Montreal : typical sleigh [carte postale]. BAnQ. https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/1955447
De grelot… à guerlot et gorlot
Arrêtons-nous d’abord à la forme de ces drôles de mots. Ce n’est pas par hasard que grelot est devenu guerlot, mais bien par un phénomène que les linguistes appellent interversion, c’est-à-dire la permutation de deux sons contigus. C’est souvent le cas avec le son r dans l’enchaînement re, lorsqu’il est précédé et suivi d’une consonne, comme dans grelot. C’est ce qui a donné guerlot. Quant à la forme gorlot, elle s’explique par le changement du son e devant le r suivi d’une consonne. Le son e peut alors devenir a, et même o, comme ici dans gorlot. Il s’agit d’ailleurs de phénomènes phonétiques qui ont été fréquemment relevés en français québécois.
Des gorlots turbulents
Qu’en est-il de la signification de ces variantes? Autrefois, guerlot et gorlot désignaient la bouche; se fermer le guerlot (ou gorlot) voulait donc dire « se taire ». Ce sens a vieilli, mais d’autres sont restés bien vivants dans la langue familière. Ainsi, les noms guerlot et gorlot (mais pas grelot) sont encore aujourd’hui utilisés en parlant de personnes... originales! Ils désignent un plaisantin, un blagueur : Dans une fête de famille, il y a souvent un gorlot qui fait rire les autres; ou encore un imbécile : Déguisé comme ça, il avait l’air d’un guerlot. Enfin, l’adjectif gorlot signifie « éméché, un peu ivre », comme le démontre cet extrait tiré des Placoteuses (1982), de Lorenzo Proteau :
Manda : […] Nous nous sentons légèrement gorlo[t]s.
Clément : Il faut se méfier de mon cognac.
Manda : S’méfier n’est pas le mot. J’ai de la misère à me lever de ma chaise. (p. 237)
Bref, dans les rassemblements festifs de fin d’année, on risque d’entendre les gorlots autant que les grelots!
Ne pas lâcher le grelot!
La forme ronde du grelot d’origine a inspiré d’autres sens, par analogie, pour guerlot et gorlot, dont celui vieilli de « baie du plant de pomme de terre ». Toutefois, c’est maintenant au légume lui-même que l’on associe guerlot, gorlot et grelot. Des grelots, ce sont aussi de petites pommes de terre rondes qu’on mange sans les peler. Par exemple, plus d’un livre de recettes suggère de les servir en accompagnement : Rien de tel que des grelots nappés de beurre pour accompagner une grillade. Ces grelots-là sont si bons qu’on les mange en silence!
Grelot, guerlot et gorlot, voilà bien un trio qui illustre la vitalité des mots, par la variation de leur forme et l’extension de leurs sens, surtout si le verbe grelotter se met de la partie!
Photo : Trésor de la langue française au Québec
Consultez la Base de données lexicographiques du Québec (BDLP-Québec) pour en savoir davantage sur le nom grelot et ses différentes formes.