C’est d’abord avec de la viande qu’on faisait un chiard?
Lorsque l’hiver se fait mordant, nous avons besoin de bons repas chauds pour nous ragaillardir. Certains plats traditionnels, préparés avec des ingrédients simples, figurent ainsi au menu des Québécois et Québécoises depuis longtemps sous diverses appellations. Du hachis à la gibelotte, le vocabulaire du mijoté à la québécoise passe à table!
Dans les marmites du Québec
Au Québec, le nom hachis désigne un mets composé de restes de viande (surtout de bœuf) ou de grillades de lard, de pommes de terre en morceaux et d’oignons, le tout cuit dans un bouillon. Le hachis existe aussi en France, mais il diffère du nôtre : il s’agit plutôt d’une préparation de viande ou de poisson hachés très fin, d’où le nom hachis.
Les mêmes ingrédients (restes de viande ou de poisson, grillades de lard, pommes de terre et oignons) se retrouvent dans un plat québécois appelé fricassée. Encore là, notre cuisine se démarque de celle des Français, puisque pour eux, une fricassée, c’est un ragoût de morceaux de viande de lapin ou de poulet, cuits à la casserole, dans une sauce.
Tout un chiard!
Hachis et fricassée ont un autre synonyme propre à notre vocabulaire culinaire : chiard, nom aujourd’hui considéré comme vieilli ou régional. Par exemple, le chiard de goélette désignait autrefois un mets uniquement composé de lard salé et de pommes de terre que mangeaient les pêcheurs et les marins. Quel que soit son contenu, le chiard est généralement un plat modeste, préparé avec des ingrédients bon marché et accessibles à tous. Le mot, qui fait référence à l’origine à ce qui était souvent servi dans les collèges, a d’ailleurs pris le sens péjoratif de « mets peu appétissant, mauvaise nourriture » (DHFQ, s.v. chiard, sens I). Le prêtre et historien Albert Tessier en parle dans ses Souvenirs en vrac, publiés en 1975 :
Sur ce chapitre [celui de la nourriture] les commentaires étaient courts. Le menu d’une seule journée suffisait, tellement les jours se ressemblaient. [...] Le midi et le soir, une sauce blanche à consistance de colle dans laquelle baignaient des pommes de terre; beaucoup de plats difficiles à identifier que nous classions sous le terme général de « chiard »; très peu de viande rôtie, du pain à volonté. (p. 51)
Loin de rester confiné aux cuisines et aux salles à manger, le mot chiard a aussi pris un sens figuré pour désigner dans la langue familière « une grande réunion de personnes, une grande fête très animée » (DHFQ, s.v. chiard, sens II.1), comme dans cette nouvelle rapportée par La Gazette de Berthier du 15 décembre 1893 :
Grand chiard hier soir chez le maire Lamarche. Les vendeux de foin de Ste‑Elizabeth ont apporté un grand miroir; – pour reflèter [sic] les grandes vertus de Madame et de Monsieur. Ben du fun!!! (p. [3])
Chiard se dit aussi d’une « situation confuse, compliquée », ou d’une « querelle » (DHFQ, s.v. chiard, sens II.2). C’est dans ce sens que l’emploie un personnage du roman Taqawan d’Éric Plamondon, publié en 2017 :
Quand les colonies de la Nouvelle-Angleterre se sont rebellées et que le chiard a pogné, elles ont proposé une alliance aux Canadiens français. On aurait pu se battre contre les loyalistes mais les curés avaient la chienne. Ils ont négocié avec le roi. En échange d’une sorte de protection du catholicisme en Amérique, les Québécois ne soutiendraient pas les rebelles protestants. (p. 95)
On retrouve la même idée dans l’expression faire (tout) un chiard, qui signifie « accorder trop d’importance à qqch., en faire toute une histoire » (DHFQ, s.v. chiard, sens II.2), comme dans ce témoignage rapporté par la chroniqueuse Mylène Moisan :
« Je voulais aller avec elle [ma mère] dans la balançoire, elle est juste de l’autre bord de la porte, on la voit de l’intérieur… Ça a fait tout un chiard, c’est monté jusqu’au directeur! Il me fallait avoir la permission de mon frère! » (Le Quotidien, site Web, Saguenay, 17 novembre 2017)
De la fourchette à la semelle
Il existe encore un autre mot pour nommer, au Québec, le même genre de mets : gibelotte, terme qui, en France, désigne plutôt une fricassée au vin blanc. Comme chiard, gibelotte peut se dire au Québec d’un plat peu appétissant ou d’une mauvaise nourriture. Par analogie, on associe aussi ce nom à un « mélange, amalgame quelconque de matières diverses, d’éléments disparates » (DHFQ, s.v. gibelotte, sens II.1), souvent avec une connotation péjorative. L’extrait suivant ne laisse ainsi aucun doute sur l’opinion de l’éditorialiste :
Les artistes ont eux-mêmes traduit les paroles. Mais hélas, le résultat sonne l’échec, écorche les oreilles et la fierté francophone. Dans une gibelotte linguistique qu’on ne peut honnêtement nommer français, des mots s’additionnent, « main » ici, « enlève » là, plus « haut » ailleurs. Le One Hand Up anglais célébrant en musique l’engagement et la volonté de changement s’écrase complètement en français, avec Une main haute qui n’évoque en rien le poing fièrement brandi en l’air des politiciens engagés. (Le Devoir, 17 septembre 2019, p. A6)
On peut même employer le mot gibelotte pour parler d’un « mélange d’eau et de neige; boue, mélange boueux » (DHFQ, s.v. gibelotte, sens II.1) – mixture bien connue des hivers québécois, qui fait d’ailleurs la joie des galopins, comme le raconte André Major dans la nouvelle La chair de poule :
C’est plein de boue partout. La glace fondue avec le sable, ça fait une de ces giblottes [sic]! Je m’amuse à courir là‑dedans pour salir les gens. Ils s’étouffent, crient au meurtre, trouvent pas ça drôle du tout. Moi, on me ferait ça une fois, je rirais. (La chair de poule, 1965, p. 64)
Hachis, fricassée, chiard ou gibelotte : il faut le reconnaître, pour désigner un mets tout simple, la langue québécoise a su se garnir d’un vocabulaire fort riche!
Pour en apprendre davantage sur ce québécisme, consultez les articles hachis, fricassée, chiard et gibelotte dans le Dictionnaire historique du français québécois.
Références
Chouinard, M.‑A. (2019, 17 septembre). Fausses notes. Le Devoir, Éditorial, A6.
La Gazette de Berthier. (1893, 15 décembre), [3].
Major, A. (1965). La chair de poule : nouvelles. Montréal : Éditions Parti pris, 64.
Moisan, M. (2017, 17 novembre). Qui sera votre tête? Le Quotidien (site Web). https://www.lequotidien.com/2017/11/17/qui-sera-votre-tete-70cbd7297032433f3482a52e832a535f/
Plamondon, É. (2017). Taqawan. Montréal : Le Quartanier, 95.
Tessier, A. (1975). Souvenirs en vrac. [Montréal] : Les Éditions du Boréal Express, 51.