Les gens se comportent parfois comme des oiseaux?
Un mot migrateur
Pour apprivoiser ce drôle de mot, déplaçons-nous dans le temps et dans l’espace. S’épivarder vient des provinces de l’Ouest de la France, où il a été formé à partir de pivart, variante phonétique de pivert, qui désignait anciennement le pic vert d’Europe. De pivart a dérivé le verbe se pivarder, lequel est ensuite devenu s’épivarder par agglutination du verbe et de la voyelle e du pronom réfléchi qui le précède.
Dans l’Ouest de la France, s’épivarder signifie « faire sa toilette », en parlant des oiseaux. Un sens analogue est attesté au Québec depuis 1896 pour décrire l’action, chez des oiseaux – surtout des poules – de « se nettoyer les plumes avec le bec, s’ébrouer dans l’eau, se rouler dans la poussière ». Par extension, on l’emploie à propos d’autres animaux pour désigner le fait de « s’ébrouer, s’activer, gambader ». On l’applique aussi à des personnes, au sens de « faire sa toilette », mais cet emploi est vieilli.
S’épivarder est surtout connu dans l’Ouest du Québec et en Acadie, puisqu’une proportion plus grande des colons français qui se sont installés dans ces régions venait de l’Ouest de la France. On trouve aussi ce mot en Louisiane, sous la forme (s’)épivarder ou sous la forme d’origine pivarder, ce qui indique qu’il s’agit d’un verbe ancien ayant circulé d’une colonie française à l’autre avant la Conquête.
De tous bords, tous côtés
En français québécois, s’épivarder connaît au fil du temps des extensions de sens tout à fait originales. On peut ainsi s’épivarder au sens d’« aller s’aérer », « se détendre » ou « se dégourdir », comme dans cet exemple récent :
La pandémie vous a donné envie, comme à plusieurs, de fuir le tapage de la ville pour vous épivarder sur un plus grand terrain et entendre le chant des oiseaux? (M.‑J. R. Roy, Métro Québec, 12 juin 2022)
Toujours au sujet de personnes, s’épivarder peut aussi vouloir dire « s’agiter, gesticuler en parlant; s’exciter en public; faire la fête ». Certaines chansons, à en croire l’auteure Gabrielle Gourdeau, se prêtent particulièrement bien à ce genre d’effervescence :
Au moins, avec les chansons quétaines et insignifiantes du genre YMCA ou Agadou, on peut toujours s’épivarder sur le plancher de danse de l’hôtel (quétaine) où a lieu la noce, et perdre quelques calories. (G. Gourdeau, La répression tranquille, 2000, p. 60)
Dans tous ces emplois, l’aspect dynamique domine : le corps humain s’agite, s’ébroue et rappelle ainsi l’oiseau qui s’épivarde.
On peut aussi s’épivarder dans ce que l’on fait et dit. S’épivarder prend alors le sens de « se disperser, s’éparpiller », comme dans le commentaire suivant :
En transformation numérique, on veut arrêter de s’épivarder! Écoutez, on utilise 22 000 personnes, 4,3 milliards $ d’investissement. C’est dispersé autour de 290 projets. C’est trop! On n’avance pas. (La Tribune, Sherbrooke, 16 décembre 2021)
De manière similaire, s’épivarder sur revêt une connotation négative pour désigner le fait de « s’exprimer très librement, s’étendre inutilement ou trop longuement sur un sujet » – précisément ce que souhaite éviter l’auteur de cet extrait :
Sans m’épivarder sur les mœurs de la spectaculaire espèce, je peux quand même vous dire que les oies blanches couchent dans les champs inondés de Baie-du-Febvre, mais qu’en bons touristes qu’elles sont, elles ne passent pas la journée dans la chambre d’hôtel à regarder la télé. (F. Houde, Le Nouvelliste, 21 avril 1998, p. 5)
Sur les ailes d’un ange
Signe que sa vitalité n’a pas perdu de plumes, s’épivarder a aussi généré le nom dérivé épivardage. Cette innovation québécoise reprend tous les sens de s’épivarder associés au comportement humain. Évoquant l’action « d’aller s’aérer ou se détendre, de se dégourdir », un chroniqueur peut ainsi écrire :
On peut faire du vélo sur sa rue, sur des pistes cyclables de plus en plus nombreuses ou par les chemins poussiéreux et les grandes routes. Tous les terrains – ou presque – s’y prêtent, les plaines comme les collines et montagnes. D’un coup de pédale, l’homo erectus allonge son pas. Et son rayon d’épivardage. (N. Cazelais, Le Devoir, 23 juin 1994, p. B6)
Le verbe s’épivarder déploie un pouvoir d’évocation remarquable, et ses divers sens jouent parfois au sein d’une même phrase. De l’oiseau qui batifole en faisant sa toilette à la personne qui s’agite en gestes et en paroles, c’est un mot qui a parcouru bien du chemin, et pas toujours à vol d’oiseau!
Pour en apprendre davantage sur ce québécisme, consultez les articles épivarder, épivardé et épivardage dans le Dictionnaire historique du français québécois.
Références
Bossé, O. (2021, 15 décembre). 686 sites gouvernementaux toujours fermés à cause de la faille informatique. La Tribune, Actualités. https://www.latribune.ca/2021/12/15/686-sites-gouvernementaux-toujours-fermes-a-cause-de-la-faille-informatique-d2f37f105c5c70266caa3a33e7a533e8/
Cazelais, N. (1994, 23 juin). Dérailler au Québec. Le Devoir, Plaisirs, B5.
Gourdeau, G. (2000). La répression tranquille. Notre-Dame-des-Neiges : Éditions Trois-Pistoles.
Houde, F. (1998, 21 avril). Le port de la casquette est recommandé. Le Nouvelliste, 5.
Roy, M.‑J. R. (2022, 12 juin). Séries, balados, livres… en mode vacances! Métro Québec, Arts et spectacles. https://journalmetro.com/culture/arts-et-spectacles/2831709/series-balados-livres-mode-vacances/